Depuis l’annonce par Emmanuel Macron de la fin de Barkhane au Mali, personne n’a cru bon de s’interroger sur ce que pensaient les militaires français engagés dans cette guerre depuis des années et s’ils comprenaient la décision élyséenne ?
Quand une armée quitte un pays où elle était sans avoir obtenu la reddition ou une paix victorieuse, c’est que l’échec est patent. Si Emmanuel Macron ne pouvait pas dire publiquement l’échec, il ne peut aujourd’hui méconnaitre que les différentes structures du renseignement français ne cessèrent de tirer la sonnette d’alarme et qu’il tarda à admettre une situation de moins en moins soutenable.
Ce qui arrive à l’opération Barkhane/Takuba est une suite assez logique de l’amoindrissement de l’influence française en Afrique de l’Ouest. Déjà lors de la crise ivoirienne qui a vu la France encourager la chute de Laurent Gbagdo aujourd’hui en retour triomphal, démarrait la seconde étape de notre déclin, après celui de l’échec de la Communauté en 1960.
Laurent Gbagdo furieux de voir le jeu français, accueillit et permit l’édification de la plus grande ambassade américaine d’Afrique, un signe tout à fait révélateur qui soulignait que Washington n’acceptait plus l’Afrique de l’Ouest comme une « chasse gardée française ».
La montée en importance de l’espace sahélien c’est-à-dire des ressources énergétiques, minières, des routes sur fond de l’extension de groupes djihadistes que l’Europe ne distinguait pas des raids ancestraux entre villages, des nomades contre les sédentaires, des querelles ethniques et tribales et religieuses (animiste, musulman, chrétien) a fait que cette immense bande de plusieurs milliers de kilomètres est devenue une zone floue qui se jette dans les désordre, libyen et inter-soudanais (des désordres où France et États-Unis y sont pour beaucoup)
Ce n’est pas tant le développement djihadiste qui a décidé la France de se retirer officiellement vers le Niger et le Tchad que le nouveau rapport de force géopolitique (Américain, Russe, Algérien, Anglais) dont on trouve la source aussi dans les évènements ukrainiens. Nul doute que l’entrée sur la scène malienne des russes via le groupe Wagner se relie à ce qui se passe à des milliers de kilomètres au nord de l’Europe. Vladimir Poutine est passé maître dans cet art de savoir frapper au cœur ou au carrefour stratégique avec précision et le minimum d’effectif (voir la Syrie et même le Kazakhstan).
Vladimir Poutine prend des gages ou des positions pour se donner des marges manœuvrières lors de négociations principalement avec les États-Unis, la Turquie. Emmanuel Macron, bloqué à la fois dans l’Union européenne et dans l’Otan, ne dispose pas de la même capacité et n’a aucun gage à se saisir. La France était dans une opération de combat contre les groupes islamistes africains, pas dans la garantie de son espace géostratégique bien démoli par Nicolas Sarkozy qui nous fit revenir dans le commandement militaire intégré et ouvrit, en même temps l’Afrique de l’Ouest à Washington…
Quelque part, la France était dans une nasse qui ne l’était apparemment pas tant que nos alliés « américains » n’avaient pas d’autres défis à relever, par exemple, contre la Chine, la Russie…Cet équilibre, désormais rompu, nous n’avions d’autre choix que celui du redéploiement en espérant que le défi logistique imposé par le départ du Mali ne soit pas une réplique de la débâcle US à Kaboul d’août dernier !
Le possible repli vers le Niger et le Tchad, deux pays fragiles, le premier avec un Président auquel on reproche ses racines libyennes avec au sud le bouillonnant Nigeria, le second surtout où Emmanuel Macron a cru devoir honorer par sa présence Mahamat Idriss Déby fils du dictateur défunt, n’est en rien une garantie pour la France.
L’exploit de la France aura été de tenir avec une moyenne de 5000 hommes un territoire aussi étendu, qu’elle le put grâce au passé colonial où elle apprit et annota et espère que cette page malienne qui se tourne ne fermera pas le livre Afrique où l’armée française veut encore avoir ses pas.
Jean Vinatier
Seriatim 2022
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