Ce n’est pas parce qu’il n ‘y aurait pas de guerre russo-ukrainienne que le désastre ne serait pas.
Ni la Russie, ni les États-Unis ne devront perdre la face dans cette confrontation, l’Union européenne est le maillon faible de ce théâtre géopolitique et parce qu’elle n’est pas une puissance politique (pas d’État, pas de nation, pas de souveraineté), pourrait être le dindon tragique, l’Ukraine prenant le chemin symbolique de la Pologne du XVIIIe siècle (3 partages).
Les États-Unis par la maitrise totale du récit (soft-power) et sa prépotence, militaire, monétaire, entrainent sans réaction les Européens sur leur route bien incapables de se fédérer. L’Allemagne joue sa partition double : devenir le hub central stratégique énergétique du continent (gazier) et s’arrimer dans l’Ukraine occidentale, les pays limitrophes sont dans une hystérie, la Pologne oubliant que dans son histoire elle conquit la Russie et fit et défit les tsars au début du XVIIe siècle et que ses malheurs sont largement la conséquence de la dégénérescence de ses institutions d’alors (liberum veto) et que par sa fusion avec le grand-duché de Lituanie, elle redessina l’espace ukrainien berceau de la première Russie jusqu’aux invasions mongoles de 1240.
Aujourd’hui, la Russie est présentée comme la nation agressive et l’aire Atlantique comme une force de bon droit, de la guerre juste. En réalité, l’emballement dans cette crise tient pour beaucoup à l’inexistence d’une puissance tierce, ici, l’Europe ou plus aucun État n’est en mesure de faire converger. L’Allemagne ne le veut pas tant elle est marquée par les deux guerres mondiales, le nazisme, tout en aspirant à être sur chaque point en Europe, la nation décisionnaire et pensant que l’Otan (donc les USA) l’exempte du militaire. La France a cessé d’être une autre voix (et voie) depuis sa désindustrialisation et sa réintégration dans le commandement de l’Otan. Emmanuel Macron porte au paroxysme l’illusion de « puissance autre » alors même qu’il ne fait que relayer ce qu’on lui dicte à Berlin et Washington.
La Russie est présentée comme le mal depuis 1945 quand avec les États-Unis l’Europe fut partagée. En 1944/45, les États-Unis pouvaient tout à fait éviter l’entrée des soviétiques à Berlin et en Europe centrale comme le souligna le général Patton mais l’idée fondamentale américaine depuis Wilson avait été de ficeler l’Europe : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes se limitant aux seuls européens et fonctionna en deux temps. Le premier lors du traité de Versailles où les anglais par crainte d’une résurgence française nous combattirent de concert avec Wilson et veillèrent à laisser l’Allemagne en entier, le second en 1943/45 où le partage américano-soviétique a été le coup de massue. La construction européenne qui commence en même temps que le plan Marshall aura été jusqu’au traité de Rome de 1957, la courte période pendant laquelle il y eut une pensée européenne réelle, ensuite, elle bifurqua pour devenir ce que nous connaissons aujourd’hui, l’Union à 27, un corps central sans bras ni jambes.
Ce petit rappel historique pour rappeler que le poids de l’Histoire est toujours là, que l’inconscience historique chemine avec nous…
La Russie est souveraine. Elle entend préserver ses marches que sont la Biélorussie (Russie blanche, Pologne blanche) l’Ukraine (Russie kiévienne), la Géorgie étant une marche à part car elle n’est pas liée à l’espace historique russe mais à son déroulement de puissance quand Saint-Pétersbourg, après la conquête de la Crimée pensera au Caucase et aux mers chaudes. De leur côté les États-Unis veulent à tout prix briser l’axe sino-russe sans que l’Europe et la Russie ne fassent des traités d’entente. Washington est dans une logique de division, d’émiettement des puissances et espère très sérieusement amener Pékin à signer de nouveaux traités inégaux. La politique américaine repose principalement sur les divisions à opérer, à susciter, à créer pour garder sa première place ni plus ni moins.
Dans cette ligne politique, la Russie se met sur la défensive ayant cru dans un premier temps que la fin de l’Union soviétique aurait pu perpétuer avec les États-Unis une division du monde, un division de l’Europe avec d’autres vocables. Il a fallu une grande naïveté à Gorbatchev pour se contenter d’une promesse orale de non-extension otanienne jusqu’aux portes russes. La question qui se pose aux Russes est de savoir comment n’avoir les mains attachées ni par les Chinois ni par les Américains. Remarquons que jusqu’à ce jour, il n’y a pas d’alliance militaire sino-russe au sens d’avant 1914. Je pense que Pékin autant que Moscou ne veulent se lier l’une à l’autre étant deux spatialités singulières, la Chine se voit le monde du milieu, la Russie en une terre sacrée (en lisant les mémoires de Trotski, j’ai été frappé de l’importance des « vieux croyants » et courants mystiques dans son premier cheminent révolutionnaire)
L’Ukraine devient un concentré de tensions diverses depuis les événements de février 2014 qui précipitèrent le président élu en bas de son fauteuil quand les élites américaines estimaient que la « fin de l’histoire » permettait toutes les révolutions colorées, que cette « fin de l’histoire » était la réalisation messianique américaine. L’élection surprise de Donald Trump en 2016 y a mis un frein mais sans que le successeur d’Obama ne puisse véritablement réorienter la politique américaine. Le mandat en cours de Joe Biden est, à cet égard, une réaction violente.
Depuis 2014, l’Ukraine a coalisé en elle et contre elle, les ressentiments russes et les projections géostratégiques, américaines (sur fond de tensions intérieures à ne pas négliger) et allemandes (la Turquie observe). L’Ukraine qui appelle au calme n’est pas maitresse de son destin, elle le serait davantage si l’Europe était une vraie puissance (souveraineté). L’Ukraine est donc la proie idoine pour que s’assouvissent sur son sol les antagonismes non résolus depuis 1989/1991. Actuellement, nous nous approchons de moments conflictuels par tierces acteurs (des djihadistes aux mercenaires) car ni la Russie ni les États-Unis ne pourront perdre la face. Il est bien dommage que les dirigeants européens n’aient pas retenu leur expérience face à la Serbie quand in fine le Kosovo en fut autonomisé selon le vœu de la Maison Blanche dans sa logique « éclatement Yougoslave » absolument pas reléguée.
Jean Vinatier
Seriatim 2022
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