« Dans son ouvrage Aux pays de l’or noir. Une histoire arabe du pétrole (Folio Histoire, 2021), Philippe Pétriat étudie en profondeur les grandes transformations de la seconde moitié du XXème siècle survenues dans le monde arabe après la découverte du pétrole. À cette occasion, il revient pour Les clés du Moyen-Orient, sur la personnalité et la politique d’Abdullah al-Tariki, Premier ministre saoudien du Pétrole et des Ressources minérales (1960-1962), dont l’approche a façonné la politique énergétique saoudienne mais aussi la vision régionale et internationale de la gestion des hydrocarbures, avec la création de l’OPEP, en 1960.
Philippe Pétriat est historien et maître de conférences en histoire contemporaine du Moyen-Orient à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est aussi chercheur à l’Institut d’Histoire Moderne et contemporaine (CNRS) et spécialiste de l’histoire contemporaine de la péninsule Arabique et du Golfe. Philippe Pétriat est notamment l’auteur de Le Négoce des Lieux saints : Négociants hadramis de Djedda 1850-1950 (Editions de la Sorbonne, 2019) et de Aux pays de l’or noir. Une histoire arabe du pétrole (2021).”
Entretien :
« Qui était Abdullah al-Tariki et comment a-t-il accédé au poste de Ministre du Pétrole et des Ressources minérales d’Arabie saoudite en 1960 ?
Abdullah al-Tariki, né le 19 mars 1919 à Al Zulfi (région du Nadj), est un fils de marchands, probablement caravaniers. Bien que sa mère soit bédouine, il est issu d’un milieu commercial très ouvert sur le monde. Son frère aurait d’ailleurs passé une grande partie de sa vie en Inde. Al-Tariki, lui, grandit au Koweït – traduisant d’un univers familial assez élargi. Grâce à des liens de patronages – probablement de la part d’autres marchands proches de la famille royale – il se voit attribuer une bourse du gouvernement, au moment même où l’État saoudien est encore en construction. Il part d’abord étudier au Caire où il obtient, en 1944, une licence en géologie et chimie. Il se rend ensuite aux États-Unis, pour un master de géologie et d’ingénierie pétrolière, qu’il décroche en 1947. Abdullah al-Tariki est probablement l’un des premiers diplômés géologues d’Arabie saoudite, au moment où l’approche pétrolière du pays est encore extrêmement technique : les compagnies mènent encore des prospections sur le territoire. Plus tard, dans un article publié en 1954 (« Où allons-nous ? »), il avouera ses déceptions lorsqu’il revient dans son pays natal et les espoirs qu’il place dans la jeunesse dont il fait partie. Après avoir découvert les États-Unis – très développés – il exprime un mélange d’enthousiasme et de frustration face à une Arabie saoudite « lente », « peu moderne » et « arriérée ». Membre de la première génération de saoudiens diplômés de l’étranger, il réfléchit déjà à sa propre expérience et aux compétences qu’il peut apporter à son pays.
Lorsqu’il revient en Arabie saoudite, il accède d’abord à un petit poste – manifestement stratégique – au sein du ministère des Finances – à l’époque chargé des questions pétrolières et minérales [1]. Si en Arabie saoudite, le pétrole est découvert en 1933, la Seconde Guerre mondiale retarde considérablement le développement de son exploitation, puisque les Britanniques et les Américains ferment leurs forages par peur d’une invasion japonaise et pour concentrer tous leurs efforts sur le front. L’industrie pétrolière saoudienne en est donc à ses débuts. Au sein du ministère des Finances, Abdullah al-Tariki est chargé des questions financières de l’industrie du pétrole et des ressources minérales (surveillance des rentrées fiscales, des profits des compagnies…). Il atteint très vite un haut poste – du fait du nombre réduit d’experts et des besoins du pays dans ce domaine – et est, dès 1958, le « responsable » du pétrole en Arabie saoudite (même s’il dépend toujours du ministère des Finances). En 1960, il accompagne la création du ministère du Pétrole et des Ressources minérales – ministère « crée pour lui ». Premier ministre à occuper ce poste, il recrute une équipe de jeunes diplômés saoudiens, extrêmement efficaces et qualifiés, qui seront ensuite à la tête des grandes entreprises pétrolières et pétrochimiques du pays. Très attaché au bon développement du nouveau ministère, il y crée une revue, où son équipe fournit des comptes rendus et partage son point de vue sur l’organisation de l’institution. Pour lui, c’est à la fois une garantie d’efficacité mais aussi un moyen de mettre en avant ce que son équipe et lui-même réalisent. Abdullah al-Tariki est un fin politique, qui forme finalement la première génération d’experts saoudiens du pétrole.
Dans son ascension, il jouit d’un contexte politique particulier, puisqu’il « bénéficie » de la concurrence entre le Roi Saoud et son frère, aussi Prince héritier et Premier ministre, Fayçal. Alors que ce dernier essaie de prendre le pouvoir, le Roi Saoud, pour contrer son influence, s’allie avec le camp des libéraux et républicains, dont font partie plusieurs Princes – plus tardivement surnommés « princes rouges » [2]. Ce cercle demande, à partir du milieu des années 1960, une monarchie constitutionnelle voire une république en Arabie saoudite. Il y a peu d’informations sur ce sujet, mais il semblerait qu’al-Tariki soit proche de ce courant. D’ailleurs, lorsqu’il est écarté du ministère en 1962, il lui est reproché sa trop grande proximité avec cette mouvance libérale, réformiste et nationaliste [3].
Quelle position avait-il vis-à-vis de l’exploitation du pétrole saoudien par les compagnies pétrolières américaines et comment a-t-il influencé le processus de nationalisation de l’industrie pétrolière, qui débute plus tardivement, au début des années 1970 ?”
La suite ci-dessous :
Jean Vinatier
Seriatim 2022
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