« Oded Héfer, le privé imaginé par Yonatan Sagiv parle de lui au féminin, traîne ses savates dans un Tel-Aviv moite où il affronte des nouveaux riches cyniques et des petits vieux retors. Héfer taille en pièces avec une ironie féroce une ville friquée, raciste et dépolitisée. »
« Mon personnage est beaucoup plus radical que moi », dit en riant l’écrivain Yonatan Sagiv, que je rencontre à Tel-Aviv en mars 2022. « Déjà, je ne parle pas de moi au féminin ! » J’ai du mal, effectivement, à imaginer, dans les traits de ce quadra à l’allure post-étudiante qui parle chaleureusement, le détective Oded Héfer, dit La Fouine. Personnage central des romans policiers de Yonatan Sagiv, ce quadra bedonnant, négligé et fauché traîne ses savates en ville en menant des enquêtes à rebondissements et envoie balader méchamment la plupart de ses interlocuteurs.
Deux polars traduits avec brio par Jean-Luc Allouche et publiés par l’Antilope, Secret de Polichinelle et Le silence est d’or font la part belle à ce privé hors-norme. Pour les amateurs du sous-genre polar gay, Oded Héfer est aussi réjouissant que Léonard Pine, privé black et gay dans le sud américain imaginé par Joe R. Lansdale, même si Pine est assez réac contrairement à Héfer1. Outre son extrême drôlerie, la plume de Yonatan Sagiv taille en pièces le capitalisme sauvage de la nouvelle bourgeoisie israélienne, le pinkwashing de Tel-Aviv et ses gays inconséquents. Tous oublient la Palestine, pourtant au cœur de tout depuis 1948.
Tel-Aviv, l’une des capitales mondiales du bling-bling a aussi, comme toutes les grandes villes, sa face putride, ses affairistes, ses opportunistes et ses arrivistes. Mais aussi ses assassins. Et ce privé improvisé les traque à sa manière foutraque chez les nouveaux riches des condominiums luxueux du bord de mer et chez les petits vieux aigris qui furent des pionniers d’Israël. « Oded est un type qui vit dans la fantaisie, qui se prend pour une star glamour, je suis plus modéré que lui, même si d’une certaine manière je suis d’accord, m’explique Yonatan Sagiv. Le mouvement de protestation LGBTQ a d’abord été un mouvement radical ».
Il n’y a ni amertume ni engagement chez le privé d’opérette qu’est Oded Héfer, bien trop centré sur sa propre survie, à propos des gays et de ce que l’on qualifie souvent en Israël de « problème » palestinien. Mais une sorte d’exaspération, traitée par Sagiv avec une ironie féroce, sur une réalité têtue que les Israéliens ont le tort de vouloir ignorer. L’auteur Sagiv fait partie des rares qui ne l’ignorent pas, souvent pour le pire. Qu’il remonte à 1948 dans une des intrigues (dont on ne dira rien) exprime simplement que les racines du « problème » s’y trouvent peut-être. À sa comique manière, il se situe dans un courant intellectuel israélien qui approfondit, depuis quelques années, la réflexion sur la nature même de leur pays.
Un personnage antocentré et auto-ironique »
La suite ci-dessous :
https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/le-detective-queer-radical-qui-demonte-tel-aviv,5643
Édition française de l’auteur :
https://www.editionsdelantilope.fr/project/yonatan_sagiv/
Jean Vinatier
Seriatim 2022
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire