La modernité de la Reine défunte se fond dans l’image. La mise en public du souverain britannique ne date que de l’époque de la Reine Victoria, auparavant, les monarques vivaient hors de la vue de leurs sujets depuis Hampton Court. La présentation au public fut un choix politique au vu du discrédit des fils et successeurs de Georges III (Georges IV, Guillaume IV) et longtemps la reine Victoria regimba, surtout après le décès de son époux.
Georges V le disait au futur Édouard VIII, un roi ne peut plus se contenter de parader deux fois l’an, il lui faut être au milieu de son peuple et de savoir manier tous les outils de communication (dans les années 20 : radio, cinéma). Sur ce point la leçon est retenue avec cette conséquence qu’un monarque sans pouvoir exécutif réel peut par un geste, une attitude exprimer un courroux, une satisfaction agir sur l’opinion publique à la condition, toutefois, que l’institution royale ne soit pas abaissée. Sans doute Louis XIV qui avait parfaitement compris l’importance de sa publicité, au point d’y paraitre en danseur lors d’un carrousel, opinerait complétement. Au passage, c’est cette absence de « communication » qui affaissera ensuite la royauté française sous Louis XV et surtout Louis XVI auquel il aura aussi manqué « un communicant ».
Cela étant dit, il est tout de même assez exagéré de parler du règne d’Élisabeth II comme d’un siècle élisabéthain tel un clin d’œil à celui d’Élisabeth Ière, fille d’Henri VIII car alors le souverain était effectivement gouvernant autant que régnant : imprimer son siècle au point qu’il porte votre prénom suppose un ensemble que la défunte Reine n’a eu que par l’intermédiaire de l’image. Nous eûmes et nous vîmes une illusion de puissance qui s’insère bien dans notre monde liquide au point que l’amoindrissement du Royaume-Uni camouflé par son accrochage au char de l’empereur du Potomac passe pour un chemin agréable d’autant plus que s’y mêlent et entremêlent les souvenirs de la Seconde guerre mondiale que connut la future Reine (19 ans en mai 1945). L’on peut dire aussi qu’avec le sacre et le couronnement d’Élisabeth II au vu du monde débutaient une narration aux saisons renouvelables faisant de la royauté britannique un navire allant par tous les temps, donnant la magie d’être par-dessus les flots alors même que l’empire disparaissait avec toutes les majestés et ce splendide isolement si cher aux élites britanniques….
L’image globale de la royauté britannique fonctionne encore tant que l’Occident garde une maitrise du récit grâce aux seuls américains (softpower) lesquels ont également les institutions internationales sous leur férule comme on le vit dès le conflit ukrainien. Londres fait les images royales et Washington les actes géopolitiques. Il y a donc une certaine dureté dans ce partage des tâches et ce n’est pas pour rien que l’on ne trouve guère de trace de la bonté de la Reine : que fit-elle pour les Irlandais lors du mariage du futur Charles III ? Rien. Que fit-elle encore pour Julian Assange, sujet australien dont elle est la souveraine ? Rien. Qu’est-ce qu’un monarque qui n’use pas de sa grâce ? Rien.
Jean Vinatier
Seriatim 2022
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