Depuis un long moment
Seriatim alertait sur les signes envoyés depuis Berlin contre la France et
notamment son offensive envers nos entreprises d’armement. Mais bien au-delà des
coups contre le secteur de l’armement, il faut se rappeler le long discours d’Olaf Scholz à Prague siège de la capitale du Saint Empire germanique sous Charles
IV, un souverain que le chancelier allemand cita et se référa. Il aurait pu
évoquer Charles V (Charles Quint) mais ce monarque était davantage « sudiste »,
il fallait un personnage historique qui symbolisait l’entrée de l’Europe du
nord avec l’Allemagne ce qui était le cas pour Charles IV à la fois Luxembourg et héritier des Prémyslides (Bohème, Pologne, Moravie, Silésie). La méconnaissance
abyssale de l’histoire en France et davantage encore dans les sphères du
pouvoir de gauche comme de droite fait que le long discours de Prague, traduit
par le Grand continent, est passé inaperçu.
L’Allemagne ne donne pas le
coup de pied de l’âne à la France, c’est la France qui a continué un discours
envers l’Allemagne qui tenait de moins en moins compte de la réalité économique
et géopolitique. Emmanuel Macron a foncé tête baissée vers Berlin, écartant d’un
revers de la main l’indifférence de la chancelière Merkel à la suite de son
discours en Sorbonne. Berlin a laissé discourir Paris et l’Élysée n’avait plus
pour être en Europe une puissance de premier plan que de ratiociner sur le « couple
franco-allemand ». Il y a eu des années 50 à 80 (jusqu’à la réunification)
une rencontre véritable entre la France et l’Allemagne même si échouait le
partenariat militaire en 1963 qui effaça, par contre-coup, malheureusement, le
bilinguisme franco-allemand (voir le traité de l’Élysée). Le décrochage
économique, c’est-à-dire la délocalisation à outrance, a été le premier déséquilibre
avec l’Allemagne qui gardait au contraire le maximum de son outil industriel ;
ensuite, la réunification lui a redonné la place centrale et elle n’eut aucun
mal à « délocaliser » régionalement dans les pays de l’Est, à se retourner vers le Nord (la Russie, l’Ukraine)
et à l’Est, la Turquie, reprenant à la
fois la politique orientale des Habsbourg (Charles VI) et des Hohenzollern (Guillaume II)
Cependant l’Allemagne optant
pour une nouvelle route le fait alors que la démographie est défaillante,
rendant assez hypothétique une puissance militaire véritable à moins d’y
adjoindre des turcs, eux-mêmes confrontés à une basse natalité à l’inverse de
celle des kurdes. Mais pour l’heure, la décision de voter un budget militaire
conséquent avec l’aval des États-Unis, qui font de même pour le Japon, participe
à l’illusion de sa renaissance « impériale ». Berlin est au centre de
convergences géographiques (Pékin, Moscou, Kiev, Londres, Washington) avec l’espoir
que la fin de la guerre en Ukraine et le blocage politique aux États-Unis rouvriraient
un couloir énergétique avec la Russie toujours regardée comme un partenaire
eurasien de premier plan.
La question double qui se
pose avec la modification de navigation allemande : quid de l’Euro et de l’Union
européenne ? On sait que les deutschemarks sont prêts, idem pour le florin
néerlandais, mais prendre le risque de tuer l’euro et par conséquent l’Union
européenne serait un moment wagnérien qui plongerait le continent dans une
crise inouïe : il faudrait qu’en amont, l’Allemagne et les pays du Nord et
de l’Est convinssent d’une union germano-nordique où entreraient le Bénélux et
l’Italie. Qu’en penserait Washington ? Qu’en penserait Londres ? Les
Etats-Unis assurés de l’aplatissement européen devraient-ils susciter l’émergence
d’un nouvel ensemble ? Peut-être si les groupes industriels allemands y déplaçaient
la presque totalité de leurs avoirs, assurant à Washington un moyen de pression.
Devant de tels enjeux la France
est déshabillée alors même quelle dispose d’atouts mais faute de souveraineté
et d’indépendance d’esprit, elle est une puissance nucléaire ficelée, atomisée
(sans jeu de mots) Paris ne pourrait pas fédérer avec elle le sud, ibérique et
lusitanien, le premier historiquement assez attiré par l’Allemagne, le second
allié depuis 800 ans au Royaume-Uni.
Si le Nord est un souci
pour Paris, le sud, l’Afrique, en est un second. La fin de Barkhane ébranle les
derniers bastions français en Afrique, les dernières manifestations à N’Djamena
sont un avant-goût de ce qui nous attend et perdre le Tchad, c’est perdre le pivot.
Le régime tient encore mais cela fait près de 80 ans que la France essaie désespérément
de tenir en Afrique, l’échec de la création d’un État sahélien dessiné par la
IVe République, repris par le Général de Gaulle qui échoua à le distinguer de l’Algérie
lors des négociations avec les indépendantistes. La France et l’Afrique ont été
aussi longtemps l’Afrique et l’Europe (j’en parlerai plus longuement venant de terminer
le livre Eurafrique de Peo Hansen et Stefan Jonsson), ce qui n’est plus le cas
de nos jours avec les principales entrées des États-Unis, de la Chine, de l’Inde,
des États arabiques, du Brésil, le Royaume-Uni via le Commonwealth y gardant
une influence de même le Portugal.
Emmanuel Macron est
comptable de facto des politiques de ses prédécesseurs sans en être le coupable
exclusif. La France en regagnant le commandement intégré de l’Otan s’est privé
du mince chemin « libre » qui lui restait et l’autorisait à manœuvrer
sans décevoir les uns, sans courroucer les autres. Aujourd’hui, la souveraineté
laisse la place à la seule communication qui a avalé l’acte politique, les
postures, les émotions, les galipettes avec des influenceurs ne sont de que
tristes danses. Notre endettement estompe également toute projection et
prospective économique par l’assurance, croit-on, d’un déversement continuel d’argent
imprimé….
A l’annonce du plan de
soutien allemand à son industrie (200 milliards d’euros), Emmanuel Macron a
fustigé ce comportement « national » oubliant que le chancelier est d’abord
allemand avant d’être européen ce qu’oublie manifestement notre Président qui nous
zappe…
Au-delà de ce virage
berlinois, c’est une manifestation supplémentaire de la fragilité qui s’affiche
avec ce danger qu’est l’illusion, désormais partie prenante en politique. Je
crois autant dangereux le choix allemand que la faiblesse française et je
terminerai ce propos comme mon écrit d’hier en rappelant le risque d’être happé….
Jean Vinatier
Seriatim 2022