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lundi 24 octobre 2022

Macron perd les deux A : Allemagne, Afrique ? N°5903 16e année

 Depuis un long moment Seriatim alertait sur les signes envoyés depuis Berlin contre la France et notamment son offensive envers nos entreprises d’armement. Mais bien au-delà des coups contre le secteur de l’armement, il faut se rappeler le long discours d’Olaf Scholz à Prague siège de la capitale du Saint Empire germanique sous Charles IV, un souverain que le chancelier allemand cita et se référa. Il aurait pu évoquer Charles V (Charles Quint) mais ce monarque était davantage « sudiste », il fallait un personnage historique qui symbolisait l’entrée de l’Europe du nord avec l’Allemagne ce qui était le cas pour Charles IV à la fois Luxembourg et héritier des Prémyslides (Bohème, Pologne, Moravie, Silésie). La méconnaissance abyssale de l’histoire en France et davantage encore dans les sphères du pouvoir de gauche comme de droite fait que le long discours de Prague, traduit par le Grand continent, est passé inaperçu.

L’Allemagne ne donne pas le coup de pied de l’âne à la France, c’est la France qui a continué un discours envers l’Allemagne qui tenait de moins en moins compte de la réalité économique et géopolitique. Emmanuel Macron a foncé tête baissée vers Berlin, écartant d’un revers de la main l’indifférence de la chancelière Merkel à la suite de son discours en Sorbonne. Berlin a laissé discourir Paris et l’Élysée n’avait plus pour être en Europe une puissance de premier plan que de ratiociner sur le « couple franco-allemand ». Il y a eu des années 50 à 80 (jusqu’à la réunification) une rencontre véritable entre la France et l’Allemagne même si échouait le partenariat militaire en 1963 qui effaça, par contre-coup, malheureusement, le bilinguisme franco-allemand (voir le traité de l’Élysée). Le décrochage économique, c’est-à-dire la délocalisation à outrance, a été le premier déséquilibre avec l’Allemagne qui gardait au contraire le maximum de son outil industriel ; ensuite, la réunification lui a redonné la place centrale et elle n’eut aucun mal à « délocaliser » régionalement dans les pays de l’Est, à  se retourner vers le Nord (la Russie, l’Ukraine) et à  l’Est, la Turquie, reprenant à la fois la politique orientale des Habsbourg (Charles VI)  et des Hohenzollern (Guillaume II)

Cependant l’Allemagne optant pour une nouvelle route le fait alors que la démographie est défaillante, rendant assez hypothétique une puissance militaire véritable à moins d’y adjoindre des turcs, eux-mêmes confrontés à une basse natalité à l’inverse de celle des kurdes. Mais pour l’heure, la décision de voter un budget militaire conséquent avec l’aval des États-Unis, qui font de même pour le Japon, participe à l’illusion de sa renaissance « impériale ». Berlin est au centre de convergences géographiques (Pékin, Moscou, Kiev, Londres, Washington) avec l’espoir que la fin de la guerre en Ukraine et le blocage politique aux États-Unis rouvriraient un couloir énergétique avec la Russie toujours regardée comme un partenaire eurasien de premier plan.

La question double qui se pose avec la modification de navigation allemande : quid de l’Euro et de l’Union européenne ? On sait que les deutschemarks sont prêts, idem pour le florin néerlandais, mais prendre le risque de tuer l’euro et par conséquent l’Union européenne serait un moment wagnérien qui plongerait le continent dans une crise inouïe : il faudrait qu’en amont, l’Allemagne et les pays du Nord et de l’Est convinssent d’une union germano-nordique où entreraient le Bénélux et l’Italie. Qu’en penserait Washington ? Qu’en penserait Londres ? Les Etats-Unis assurés de l’aplatissement européen devraient-ils susciter l’émergence d’un nouvel ensemble ? Peut-être si les groupes industriels allemands y déplaçaient la presque totalité de leurs avoirs, assurant à Washington un moyen de pression.

Devant de tels enjeux la France est déshabillée alors même quelle dispose d’atouts mais faute de souveraineté et d’indépendance d’esprit, elle est une puissance nucléaire ficelée, atomisée (sans jeu de mots) Paris ne pourrait pas fédérer avec elle le sud, ibérique et lusitanien, le premier historiquement assez attiré par l’Allemagne, le second allié depuis 800 ans au Royaume-Uni.

Si le Nord est un souci pour Paris, le sud, l’Afrique, en est un second. La fin de Barkhane ébranle les derniers bastions français en Afrique, les dernières manifestations à N’Djamena sont un avant-goût de ce qui nous attend et perdre le Tchad, c’est perdre le pivot. Le régime tient encore mais cela fait près de 80 ans que la France essaie désespérément de tenir en Afrique, l’échec de la création d’un État sahélien dessiné par la IVe République, repris par le Général de Gaulle qui échoua à le distinguer de l’Algérie lors des négociations avec les indépendantistes. La France et l’Afrique ont été aussi longtemps l’Afrique et l’Europe (j’en parlerai plus longuement venant de terminer le livre Eurafrique de Peo Hansen et Stefan Jonsson), ce qui n’est plus le cas de nos jours avec les principales entrées des États-Unis, de la Chine, de l’Inde, des États arabiques, du Brésil, le Royaume-Uni via le Commonwealth y gardant une influence de même le Portugal.

Emmanuel Macron est comptable de facto des politiques de ses prédécesseurs sans en être le coupable exclusif. La France en regagnant le commandement intégré de l’Otan s’est privé du mince chemin « libre » qui lui restait et l’autorisait à manœuvrer sans décevoir les uns, sans courroucer les autres. Aujourd’hui, la souveraineté laisse la place à la seule communication qui a avalé l’acte politique, les postures, les émotions, les galipettes avec des influenceurs ne sont de que tristes danses. Notre endettement estompe également toute projection et prospective économique par l’assurance, croit-on, d’un déversement continuel d’argent imprimé….

A l’annonce du plan de soutien allemand à son industrie (200 milliards d’euros), Emmanuel Macron a fustigé ce comportement « national » oubliant que le chancelier est d’abord allemand avant d’être européen ce qu’oublie manifestement notre Président qui nous zappe…

Au-delà de ce virage berlinois, c’est une manifestation supplémentaire de la fragilité qui s’affiche avec ce danger qu’est l’illusion, désormais partie prenante en politique. Je crois autant dangereux le choix allemand que la faiblesse française et je terminerai ce propos comme mon écrit d’hier en rappelant le risque d’être happé….

 

Jean Vinatier

Seriatim 2022

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