La coalition allemande résistera-t-elle au choc de l’envoi
de chars Léopard 2 via la Pologne sur le champ de bataille ukrainien ? Hier
la Lettonie et l’Estonie ont expulsé les ambassadeurs russes…
Entre les deux, ce dimanche, la France a célébré le traité
de l’Élysée signé en janvier 1963 qui devait opérer un véritable tournant dans
la construction européenne en plaçant Berlin et Paris sur la voie de
l’autonomie militaire et par là-même contourner l’Otan. L’opposition du
Bundestag vida le traité de cet élément essentiel entrainant le second avec lui
à savoir le volet linguistique qui prévoyait in fine le français en première
langue en Allemagne, et l’allemand en première langue en France. Ce but aurait
permis la constitution d’un bloc de plus de 100 millions locuteurs franco-allemands
et bien plus si l’on y ajoutait en Europe les aires d’influences culturelles
respectives de la France et de l’Allemagne…. C’est peu dire que ce que Paris a
voulu mettre en scène ce dimanche 22 janvier était une coquille presque vide de
deux puissances aux chemins différents depuis la chute du Mur de Berlin…de deux
puissances aux bras ballants au fur à mesure que dure la guerre en Ukraine….
Depuis lundi, la Pologne rue dans les brancards pour
obtenir l’aval de Berlin d’user ses chars Léopards auprès des ukrainiens. A la
russophobie ancestrale polonaise se greffe aussi l’espoir qu’au terme de la
guerre, une Galicie plus autonome, de même que Varsovie suit comme le lait sur
le feu la situation en Biélorussie dont elle revendique la terre, c’est sa
Pologne blanche.
Sur tous les plateaux français, il est prêté à la Russie le
désir d’absorber outre l’Ukraine et la Moldavie, la Biélorussie et les États
baltes. Ce ton est fait pour la propagande, presser les gouvernements européens
d’investir sans cesse et sans arrêt, de pâmer les opinions publiques. Pour faire bonne figure une opération main
propre vient de faire tomber nombre de gouverneurs et de vice-ministres
ukrainiens…
Il y a d’un côté cet emballement européen tempéré par les
atermoiements berlinois, par Paris qui fait du en même temps et de l’autre l’absence
d’analyse nette de deux erreurs commises par la Russie et l’aire Atlantique :
la Russie s’est trompée sur la résistance ukrainienne, l’aire Atlantique s’est
trompée sur la résilience russe aux sanctions. Quand un conflit démarre, ici, sur
deux fautes majeures, on est assurés que les combats ne cesseront pas de sitôt.
Ce qui était opération spéciale pour les Russes devient de plus en plus une
guerre patriotique. Ce qui devait s’effondrer pour l’aire Atlantique ne se
réalisant pas fait que tout ce qui a été écrit sur l’Ukraine comme seul
territoire impliqué vole en éclat découvrant un champ d’opération non plus
local mais eurasiatique.
Ainsi au fur et à mesure des semaines guerrières, il se
déploie un champ conflictuel plus large, plus étendu qui amène, par exemple, la
question suivante : qui a intérêt à la poursuite de la guerre, qui a
intérêt à l’arrêter ? Une réflexion bien absente des médias…Pourquoi ne
pas penser que la Chine ne verrait pas d’un bon œil la puissance américaine happée
par les fournitures militaires en Ukraine, le temps pour elle de peaufiner la
solution « Taïwan » ?
Deux événements pourraient bouleverser la guerre, un
provenant des États-Unis, les tensions intérieures à la veille de la campagne
présidentielle de 2024, le second depuis la Russie où s’afficherait une
contestation nationale. Un troisième interviendrait dans la non perspective d’une
paix russo-ukrainienne, c’est la redistribution des cartes en Asie, en Afrique.
Après tout, une Europe à genoux, une Europe autrefois source d’empires
coloniaux qui brisèrent bien des empires et des peuples, ne serait-elle pas une
bonne opportunité ? Bonne opportunité d’autant plus que la Maison Blanche,
désireuse de ne pas avoir de concurrence soudaine face à la Chine aurait veillé
elle-même à débiliter l’Europe…. L’exemple de l’IRA américain est là pour
preuve, de la difficulté européenne à établir son propre IRA : les
Allemands rechignent à déplacer leurs industries sur le sol américain car
Berlin n’aurait plus la moindre espérance de recouvrer une position
géographique entre l’Asie et les USA, les États européens les plus proches de
la frontière russe, eux, répugneront à mécontenter l’Oncle Sam…
L’envoi militaire et offensif des chars Léopard est une
illustration supplémentaire de la nasse dans laquelle l’Europe s’est placée :
ou bien elle assume une vraie guerre contre la Russie avec le risque que les États-Unis oscillent selon leurs stricts intérêts, leur agenda ou bien, elle y
renonce avec le danger qu’implose l’Union européenne qui deviendrait par contre-coup une proie.
A ce jour, on mesure davantage le dégât de l’échec du traité
de l’Élysée, de deux fautes colossales faites par la France, un de laisser fuir
nos industries déséquilibrant son rapport avec l’Allemagne, deux de n’avoir pas
saisi la réunification allemande et de sa première manifestation en acte extérieur :
l’implosion de la Yougoslavie en 1991/1995.
Dans les circonstances présentes qui engagent l’Europe, se
mesurent les méfaits de l’inexécution d’un traité, la seule communication ne
les camoufle plus. Et les Allemands partagés entre un retour armé et leur persuasion
d’occuper géographiquement une place aussi incontestable en Europe que celle de
la Turquie en Asie, auraient bien besoin de s’équilibrer par la France si cette
dernière n’avait pas renoncé à toute indépendance, notamment vis-à-vis de l’Otan….A
ce duo, il aura manqué d’être deux …
Jean
Vinatier
Seriatim
2023