“À propos de : Samuel K. Cohn, Jr., Popular Protest and Ideals of Democracy in Late Renaissance Italy, Oxford University Press, 2021
Sous le tumulte des guerres d’Italie, la Renaissance est aussi un temps de révoltes sociales et de résistances collectives. Par l’élaboration de concepts et idéaux démocratiques, la contestation serait-elle le creuset de notre modernité politique ?
En près de trois décennies, Samuel Cohn a fait sien le thème de la révolte et de la rébellion à la fin du Moyen Âge et pendant la Renaissance, avec une demi-douzaine d’ouvrages relatifs au sujet, consacrés tant à l’Angleterre qu’à l’Italie, à la France ou la Flandre. Le sujet était plus à la mode dans les années 1960 à 1980 – notamment en France avec quelques ouvrages devenus classiques comme les Fureurs paysannes de Roland Mousnier, les Ongles bleus de Michel Mollat et Philippe Wolff, ou les Croquants et Nu-pieds d’Yves-Marie Bercé. Puis il avait souffert d’un certain enfermement dans la querelle entre historiens marxistes et non-marxistes, mais aussi de diverses relectures sous l’influence des sciences sociales, de la psychologie et des « représentations mentales », rarement accompagnées d’un véritable approfondissement des sources.
L’arrière-plan social des guerres d’Italie
À l’inverse, Cohn s’est efforcé de refonder l’étude des révoltes, en débutant par le Moyen Âge, pour dresser ouvrage après ouvrage une histoire sur la longue durée, s’émancipant de la distinction classique entre un « modèle » moderne – la révolution – et des formes prémodernes, forcément inabouties. Il s’est aussi éloigné, dès l’origine, des études n’éclairant les mouvements contestataires que sous l’angle social et ne voyant souvent là que des phénomènes structurels, dépourvus d’organisation réelle comme de revendications pleinement politiques, au-delà du règlement d’une situation momentanée de crise (difficultés alimentaires, résistances à l’impôt).
Samuel Cohn aborde les révoltes populaires italiennes de la Renaissance à l’intérieur d’un cadre strict : celui des guerres d’Italie (1494-1559), période propice aussi bien aux résistances contre les incursions étrangères, qu’aux soulèvements face à l’impact économique et social des conflits. Sur le plan méthodique, Cohn se saisit d’une collection de sources aussi vaste que possible. Le propos est ainsi fondé sur le démontage minutieux d’archives diplomatiques et judiciaires, en particulier les suppliques adressées aux gouvernants, ou encore les registres criminels mentionnant certains rebelles et leurs actes. S’y ajoutent les sources narratives, d’une incomparable richesse pour la période : chroniques, mais aussi correspondances publiques et privées, journaux et mémoires, émanant souvent de l’important personnel administratif et diplomatique des cités et républiques italiennes (p. 7-10).
Le travail quantitatif réalisé à partir de ce corpus a permis à l’auteur de recenser pour la période 751 événements sur la péninsule italienne, dont témoigne au moins une source (on peut cependant regretter l’absence de tableau récapitulant les données). Une analyse fine met aussi en évidence leurs facteurs principaux, et leur localisation (p. 18-21). La répartition géographique des événements corrige d’ailleurs quelques a priori : si Milan ou Naples sont les principaux théâtres de révoltes sur la péninsule (respectivement 63 et 54 pendant la période), il en va presque tout autant de Modène (49). À l’inverse, Florence, surexposée dans l’historiographie des révoltes populaires du fait du caractère éminent des événements la concernant (le renversement des Médicis et l’avènement de Savonarole en 1494, puis l’établissement de la République, le rétablissement des Médicis en 1512, et ainsi de suite) connaît en réalité comparativement assez peu de troubles à la même période (p. 18).
Repolitiser la révolte”
La suite ci-dessous :
https://laviedesidees.fr/Renaissance-italienne-et-democratie-d-en-bas.html
Jean Vinatier
Seriatim 2023
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