Pour La vie des idées, Etienne Forestier-Peyrat propose la critique de l’ouvrage de Seiji Shirane, Imperial Gateway. Colonial Taiwan and Japan’s Expansion in South China and Southeast Asia, 1895-1945, Cornell University Press
« Premier territoire intégré à l’empire japonais qui émerge à la fin du XIXe siècle, Taïwan y tient une place majeure jusqu’à 1945. Véritable tremplin colonial vers la Chine continentale et les « mers du Sud », elle illustre le rôle crucial des relais régionaux dans l’impérialisme moderne.
La conquête japonaise de Taïwan, opérée en 1895 après une guerre qui révèle les failles persistantes de la puissance chinoise, est suivie par une longue série de révoltes et de campagnes de « pacification », qui frappent aussi bien la population Han que les groupes autochtones, volontiers qualifiés de « sauvages » par les conquérants du moment. L’île – la Formose des Portugais – est rétive de longue date aux pouvoirs centraux et n’est passée qu’en 1683 sous la juridiction de la dynastie chinoise des Qing, d’une manière avant tout symbolique.
L’intégration tumultueuse à l’empire japonais n’empêche pas le second gouverneur général de l’île, Katsura Tarô, d’envisager dès 1896 un grand dessein pour sa colonie, dans laquelle il voit une tête de pont pour s’implanter sur le continent, en particulier dans la province voisine du Fujian. Plus généralement, Taïwan est envisagé comme la première étape d’une avancée japonaise vers la mer de Chine du Sud, à une époque où les puissances occidentales accélèrent leur expansion dans la zone. L’assimilation de l’île à une « porte vers le Sud » (nanmon, en japonais) traduit la force d’un imaginaire géographique qui se décline de manière croissante jusqu’aux années 1940.
Si les autorités militaires et gouvernementales de Tokyo constituent l’horizon de l’ouvrage de Seiji Shirane, le cœur de son étude est consacré aux acteurs locaux de cet expansionnisme, en mettant au premier plan la tentation récurrente du gouvernement général de Taipei – Taihoku, en japonais – de développer sa propre stratégie d’influence et de conquête dans son environnement régional, quitte à entrer en conflit avec d’autres institutions japonaises et étrangères.
Imperial Gateway s’inscrit à cet égard dans une historiographie qui s’efforce de penser les empires comme « multicentriques et hétérogènes », notamment dans leurs forces d’impulsion.
À travers l’étude de cet impérialisme emboîté, ce sont aussi bien les facteurs de la puissance japonaise en Asie qui se trouvent analysés, que les ressorts d’une relation ambiguë, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, entre l’île et son ancienne puissance de tutelle.
Au pays des gouverneurs généraux »
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Jean Vinatier
Seriatim 2023
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