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samedi 28 octobre 2023

Que sont devenues les « religions africaines » ? N°5719 17e année

 13 janvier 2021

 « Dumbi Fakoly, chercheur en Histoire et écrivain malien, président du rassemblement pour la réhabilitation de la #religion négro-africaine (3 RNA-Maaya). Mbog Bassong, égyptologue et planétologue initié dans la confrérie du Mbog des Bassa du Cameroun. Jean Philippe Omotunde, chercheur en Histoire, spécialiste des sciences et mathématiques africaines et des humanités classiques africaines, Fondateur de l'institut d’Histoire Anyjart » 

« Peut-on véritablement parler de « religions africaines » ? Pourquoi adopter le christianisme ou l’islam alors que l’Afrique a ses propres traditions ? Et d’ailleurs, quelles sont-elles et quelle importance ont-elles encore aujourd’hui sur le continent ? Quelle place pour le divin ? Peut-on véritablement parler de « religions africaines » ? (Rediffusion) » 

https://www.rfi.fr/fr/podcasts/le-d%C3%A9bat-africain/20231020-que-sont-devenues-les-religions-africaines

Jean Vinatier 

Seriatim 2023

jeudi 26 octobre 2023

Israël : l’agonie d’une démocratie par Charles Enderlin N°5718 17e année

 14 octobre 2023

 « Rencontre avec: Charles Enderlin, journaliste, grand reporter et auteur franco-israélien. Il a été correspondant à Jérusalem pour la chaîne de télévision France 2 de 1981 à 2015. Auteur de nombreux ouvrages dont notamment "Au nom du Temple: l’irrésistible ascension du messianisme juif en Israël, 1967-2012" (Le Seuil, 2013), "Les Juifs de France entre République et sionisme" (Le Seuil, 2020), "De Notre Correspondant à Jérusalem. Le journalisme comme identité" (Le Seuil, 2021). Il vient de publier "Israël. L’agonie d’une démocratie" (Coll. Libelle, Seuil 2023) Modération : Jean-Paul Chagnollaud, président de l’iReMMO » 

Jean Vinatier 

Seriatim 2023

mercredi 18 octobre 2023

Israël - Palestine, la paix impossible par Henry Laurens N°5716 17e année

 « Hors les murs - Israel - Palestine : complexité et enjeux Vendredi 11 décembre 2015

 Journée de décryptage organisée par l'iReMMO et la Cimade, Montpellier Introduction et perspective historique Israël - Palestine, la paix impossible Rencontre avec : Henry Laurens, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire d’Histoire contemporaine du monde arabe, il avait auparavant été Maître de conférences à l’Université de la Sorbonne (Paris IV) et professeur des Universités à l’INALCO. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de référence, dont "La Question de Palestine", en cinq tomes, parus chez Fayard entre 1999 et 2015. Modératrice : Chloé Fraisse-Bonnaud, directrice-adjointe de l'iReMMO. » 

Jean Vinatier 

Seriatim 2023

mardi 17 octobre 2023

Guerres silencieuses. Embargos et blocus au Moyen-Orient de 1948 à nos jours par Carole André-Dessornes N°5715 17e année

 « Carole André-Dessornes, docteure en sociologie politique (EHESS) et spécialiste des rapports de forces au Moyen-Orient-Méditerranée, elle est chercheuse associée à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), chargée d’enseignement à l’Institut catholique de Paris. Elle a publié entre autres Les femmes-martyres dans le monde arabe: Liban, Palestine & Irak. Quelle place accorder à ce phénomène? (L’Harmattan, 2013) et 1915-2015. Un siècle de tragédies et de traumatismes au Moyen-Orient (Coll. La Bibliothèque de l’iReMMO, L’Harmattan, 2015). 

Modération: Agnès Levallois, vice-présidente de l’iReMMO. » 

Jean Vinatier 

Seriatim 2023

lundi 16 octobre 2023

Choiseul, l’orgueil au pouvoir par David Feutry N°5714 17e année

 « 16 oct. 2023 

Conférence de David Feutry, archiviste paléographe (prom. 2008) et professeur agrégé au lycée Édouard-Branly de Dreux. En savoir plus : https://www.chartes.psl.eu/fr/actuali... Ministre le plus influent sous Louis XV, le duc de Choiseul (1719-1785) connut une trajectoire singulière : militaire puis diplomate et enfin ministre, il fut l’âme de la résistance à l’Angleterre durant la guerre de Sept Ans (1756-1763) et un habile négociateur pour conserver les possessions ultramarines. Proche de Madame de Pompadour, cumulant bientôt les Affaires étrangères, la Marine et la Guerre, il est pendant douze ans (1758-1770) l'éminence grise de Louis XV. Derrière l’action de Choiseul, il y a la récupération de la Lorraine, l’achat de la Corse, la préparation de la revanche contre l’Angleterre par d’intenses réformes militaires et administratives, mais aussi des échecs (le désastre des Cardinaux en 1759, le fiasco de la colonisation de la Guyane). Un portrait tout en nuances pour celui qui eut aussi des relations complexes avec les parlements ou les philosophes des Lumières et qui sut à tout instant se mettre en avant dans les salons ou par ses écrits. La disgrâce de 1770 l’éloigna définitivement du pouvoir, mais entre Paris, Versailles et Chanteloup, il resta un observateur avisé de la vie politique française, à la critique parfois acerbe. » 

Jean Vinatier 

Seriatim 2023

dimanche 15 octobre 2023

La géopolitique du pape François est-elle un défi à l’ordre atlantique ? par François Tanase N°5713 17e année

 

L’auteur

« Docteur en histoire, ancien membre de l’École française de Rome et diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris. Maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne en histoire médiévale, il est également membre de l’UMR 8167, Orient et Méditerranée. Ses recherches portent en particulier sur l’histoire de la papauté et ses relations avec les mondes orientaux et asiatiques. Il est notamment l’auteur d’une Histoire de la papauté en Occident publiée dans la collection Folio Histoire »

Présentation par Diploweb des deux parties de l’article :

« Thomas Tanase développe de façon très docmentée une analyse des dix années du pontificat de François, pour comprendre comment celles-ci, au-delà des qualités personnelles du pape argentin, ont débouché sur un échec stratégique majeur, aggravant l’impasse du monde catholique.

Cette étude commence par observer dans une première partie comment le Vatican du pape François reste inséré dans les réseaux de la mondialisation, luttant à l’Ouest contre les « populismes », c’est-à-dire contre un ensemble de mouvements très divers mais nourris d’un discours anti-élites et anti-système, qui, depuis le Brexit et l’élection de Donald Trump en 2016, menacent de remettre en cause les règles du système international telles qu’elles se sont développées depuis les années 1990. T. Tanase montrera ensuite dans une seconde partie comment, pour compenser, la papauté se tourne vers des pôles extra-occidentaux d’équilibre, et notamment vers l’Eurasie de la Russie de Vladimir Poutine et de la Chine de Xi Jinping, politique mise en difficulté par la relance de la guerre russe en Ukraine depuis le 24 février 2022. »

LE PAPE François, dix ans après son élection au trône pontifical en 2013, reste une figure populaire. Son avènement a suscité beaucoup d’espoir, et a donné l’impression d’un vent de renouveau, avec l’arrivée pour la première fois au sommet de l’Église catholique d’un pasteur venu des grandes métropoles du Sud – c’est-à-dire non seulement un pape venu d’un autre horizon que celui de l’Occident, avec son histoire et ses habitus mentaux et sociaux, mais aussi un pape habitué à côtoyer dans son quotidien toutes les religions et les communautés du monde. Cependant, les choses ne se sont guère améliorées pour l’institution pontificale depuis une dizaine d’années. Populaire en dehors, le pape François a de nombreux adversaires au sein du monde catholique. Il est souvent critiqué pour ses prises de position, tandis que la crise du catholicisme s’est aggravée. Surtout, à l’heure où l’affirmation de la Chine et le retour de la Russie ont finalement débouché sur un véritable conflit qui remet en cause les règles de la globalisation posées dans les années 1990, conflit dont la première grande bataille se joue actuellement en Ukraine, la diplomatie pontificale semble ne plus savoir quoi faire.

Pourtant, on ne peut pas reprocher au pape François de ne pas avoir vu venir les choses : le pontife parlait déjà en août 2014 d’une troisième guerre mondiale « a pezzi », par morceaux, expression reprise solennellement lors des commémorations pontificales du centenaire de la Première Guerre mondiale [1]. Elle a été utilisée à de nombreuse reprises par le pape François, et notamment lors de la relance de l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, même s’il a fini par se demander s’il ne faudrait pas « à présent parler de guerre totale » [2]. Il n’en reste pas moins que le pape François s’est retrouvé complètement débordé par l’invasion de l’Ukraine par la Russie de 2022 et l’accélération des événements qu’elle marque. Toute la diplomatie qu’il a mise en place depuis dix ans pour prévenir cette situation a été entièrement prise à contre-pied. Plus encore, le pape François se retrouve piégé par une contradiction fondamentale : celle entre le centre institutionnel, historique de l’Église catholique, qui reste situé dans un Occident de moins en moins chrétien, recompacté, au moins pour le moment, par la guerre en Ukraine, et la réalité d’un cœur du monde catholique qui bat de plus en plus du côté des pays du Sud et dont François est si bien le représentant. Or l’Amérique latine, l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Inde ou la Chine se sentent peu impliqués émotionnellement dans le conflit ukrainien, alors qu’ils se rappellent encore très bien, sans même remonter jusqu’au colonialisme, le bilan des coups d’État, des changements de régime ou des guerres « humanitaires » promues par l’Occident. Plus encore, nombre de ces pays semblent voir dans les événements actuels la possibilité de secouer l’ordre de la globalisation atlantique telle qu’elle a été imposée depuis les années 1990, et qu’ils n’ont souvent accepté que de manière contrainte et forcée. Une réalité que les pays occidentaux se sont efforcés de ne pas voir, mais dont le pape argentin avait fait un axe majeur de sa géopolitique jusqu’à l’invasion russe de 2022.

L’article suivant fera donc une analyse des dix années du pontificat de François, pour comprendre comment celles-ci, au-delà des qualités personnelles du pape argentin, ont débouché sur un échec stratégique majeur, aggravant l’impasse du monde catholique. Cependant, il s’agit ici d’aller au-delà des analyses habituelles se contentant de suivre le cours des événements et d’appliquer en permanence à l’Église une grille de lecture reposant sur l’opposition entre « progressistes » et « conservateurs », qui n’est pas fausse mais qui reste à la surface des choses. Faute de s’articuler avec une réflexion sur la diversité géographique, culturelle du monde catholique, elle finit par ressembler souvent à une analyse opposant les « gentils » et les « méchants », pour reprendre le langage du pape François. Cette étude commencera donc par regarder dans une première partie comment le Vatican du pape François reste inséré dans les réseaux de la mondialisation, luttant à l’Ouest contre les « populismes », c’est-à-dire contre un ensemble de mouvements très divers mais nourris d’un discours anti-élites et anti-système, qui, depuis le Brexit et l’élection de Donald Trump en 2016, menacent de remettre en cause les règles du système international telles qu’elles se sont développées depuis les années 1990. Cette étudemontrera ensuite dans une deuxième partie comment, pour compenser, la papauté se tourne vers des pôles extra-occidentaux d’équilibre, et notamment vers l’Eurasie de la Russie de Vladimir Poutine et de la Chine de Xi Jinping, politique mise en difficulté par l’actuelle guerre en Ukraine.

L’étude de la géopolitique de l’Église du pape François se devra de la sorte d’illustrer comment les difficultés actuelles du catholicisme s’articulent avec les problématiques engendrées par la crise des pays occidentaux et la transformation de l’ensemble du système mondial. Le pape François mène en effet cette politique d’équilibriste parce qu’il doit lui aussi faire face à des repères qui se brouillent avec l’ouverture d’un nouveau cycle historique, lequel verra probablement à terme l’émergence d’un système international très différent de celui d’un monde dominé par la seule globalisation anglo-saxonne. Or ce nouveau cycle risque d’entrainer par la force des choses au moins en partie un changement de vision du monde, d’organisation des sociétés, un bouleversement porté par les nouvelles puissances en train d’émerger – un mouvement auquel l’Église catholique, en raison de son caractère mondialisé, est très sensible. En ce sens, le pape François rencontre vraiment une époque, qu’il incarne aussi à travers ses tâtonnements et ses hésitations, annonciatrices des nouvelles recompositions à venir. »

1-Première partie Le pape François face à l’Occident 16/09/2023

https://www.diploweb.com/La-geopolitique-du-pape-Francois-est-elle-un-defi-a-l-ordre-atlantique-Premiere-partie-Le-pape.html

2-Seconde partie. Le pape François, l’Orient, l’Eurasie et la Chine 15/10/2023

https://www.diploweb.com/La-geopolitique-du-pape-Francois-est-elle-un-defi-a-l-ordre-atlantique-Seconde-partie-Le-pape.html

 

Jean Vinatier

Seriatim 2023

Interdire ou dissuader ?Leibniz et le droit de guerre par Paul Rateau N°5712 17e année

 

« Paul Rateau est maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est président de la Société d’études leibniziennes de langue française et vice-président de la Leibniz-Gesellschaft. Ses travaux de recherche portent principalement sur l’histoire de la philosophie moderne et en particulier sur l’œuvre de G. W. Leibniz. Il est notamment l’auteur de La question du mal chez Leibniz : fondements et élaboration de la Théodicée (Honoré Champion, 2008), Leibniz et le meilleur des mondes possibles (Classiques Garnier, 2015) et Leibniz on the Problem of Evil (Oxford University Press, 2019). »

 

« Leibniz mena tout au long de sa vie une intense activité diplomatique en vue d’établir la paix en Europe. Ses réflexions sur le droit de guerre et le projet de paix perpétuelle de l’abbé de Saint-Pierre n’ont rien perdu de leur actualité ; le philosophe de l’optimisme tempère les rêves du pacifisme.

Guerres d’hier et d’aujourd’hui : de Kiev à Hanovre

Hannah Arendt écrivait dans Vérité et politique :

Même si nous admettons que chaque génération ait le droit d’écrire sa propre histoire, nous refusons d’admettre qu’elle ait le droit de remanier les faits en harmonie avec sa perspective propre ; nous n’admettons pas le droit de porter atteinte à la matière factuelle elle-même

.

Pour expliquer la différence entre cette « matière factuelle » et les interprétations qui peuvent en être faites, Arendt cite la réponse de Clemenceau, à qui l’on demandait ce que, à son avis, les historiens du futur penseront de la délicate question des responsabilités dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale : « Ça, je n’en sais rien, mais ce dont je suis sûr, c’est qu’ils ne diront pas que la Belgique a envahi l’Allemagne ».

Que diront les historiens de l’avenir sur les causes qui ont conduit à la guerre actuelle entre la Russie et l’Ukraine ? Nous pourrions répondre, en paraphrasant le « Tigre » : nous n’en savons rien, mais ce dont nous sommes sûrs, c’est qu’ils ne diront pas que l’Ukraine a envahi la Russie le 24 février 2022. Le rappel à ce fait élémentaire n’est jamais inutile : il n’interdit pas, par avance, un débat fécond sur le contexte et l’enchaînement complexe de circonstances qui aboutissent à un événement, mais il fixe et circonscrit le cadre dans lequel l’interpréter.

Cette guerre a pris la forme d’une agression d’un pays (l’Ukraine) par un autre (la Russie). Si les motifs allégués par l’agresseur pour justifier son invasion n’ont guère convaincu, en revanche, l’exercice par l’agressé de son droit de se défendre – garanti par l’article 51 de la Charte des Nations Unies dans le cas d’une « agression armée » – n’a pas été contesté. Alors que l’emploi du droit de guerre par l’un a pu être jugé illégitime, son emploi par l’autre a non seulement été reconnu comme juste, mais encore encouragé et soutenu, par l’octroi d’aides matérielles et financières par les pays qui soutiennent Kiev. De ce point de vue, le recours à la force armée, loin d’être condamné par principe au nom de la non-violence, d’un rejet de la guerre pour des raisons morales, a été parfaitement admis dans le cas de l’Ukraine. Les réticences observées dans certains pays, dans le soutien à apporter à l’agressé, ne sont pas venues d’un jugement moral sur la guerre, considérée comme mauvaise en soi, mais de la crainte d’une escalade du conflit, c’est-à-dire des conséquences de l’accroissement des moyens militaires fournis à la victime, face à un agresseur doté de l’arme atomique. À leurs yeux, le mal n’était pas tant la guerre, en elle-même, mais le risque de contribuer à la faire perdurer, ses effets prolongés sur l’équilibre mondial et ses répercussions économiques notamment – un motif qui n’a rien de moral.

La guerre n’apparaît donc pas en soi injustifiable, dès lors qu’elle se fonde sur la légitime défense. Il faut cependant se demander si la légitime défense, qui relève du droit de guerre, peut être admise sans son autre versant (son « revers), qui est le droit à l’action offensive, le droit de prendre l’initiative d’attaquer. Ces « deux » droits font partie du droit de guerre, de sorte qu’il paraît difficile de les dissocier, de prétendre garder l’un et renoncer à l’autre, en déclarant ce dernier par principe illégitime. Deux interprétations sont en réalité possibles.

La première consiste à considérer que ces deux droits dérivent en réalité d’un seul et unique droit fondamental, que Thomas Hobbes (1588-1679) définissait comme le « droit de nature », qui consiste en cette liberté que chacun a « d’user de son propre pouvoir pour la préservation de sa propre nature, c’est-à-dire de sa propre vie ; et, par conséquent, de faire tout ce qu’il concevra, selon son jugement et sa raison propres, être le meilleur moyen pour cela »

. Ce droit de conserver sa vie ne se réduit pas à la légitime défense, en cas d’attaque, puisqu’il autorise à agir pour la perpétuer et, à cette fin, de prendre l’initiative de la conquête et de l’appropriation. La seconde interprétation, plus restrictive et réductrice, revient à poser que ces deux droits ne se fondent pas sur un autre plus originaire, mais qu’ils n’en font en réalité qu’un seul, telles les deux faces d’une même pièce, et que l’un (le droit d’attaquer) ne peut tirer sa légitimité que de l’autre (le droit de se défendre), c’est-à-dire n’est justifiable que s’il en prend la forme. On a le droit d’agir de manière offensive parce qu’en attaquant, en réalité, on riposte et on se défend, contre une agression avérée ou une menace supposée – ce dernier cas impliquant une sorte d’application anticipée de la légitime défense (au sens strict).

Les Russes ont tenté de reprendre à leur compte cette dernière interprétation du droit de guerre – qui tend à assimiler le droit d’attaquer au droit de se défendre – en présentant leur intervention comme une opération visant à défendre les populations russes prétendument opprimées dans le Donbass, puis en invoquant le droit à la sécurité de la Fédération de Russie face à l’élargissement de l’OTAN jusqu’à ses frontières, avec l’adhésion à l’Alliance de pays appartenant autrefois à sa sphère d’influence. Le droit de guerre est clairement utilisé de manière à transformer l’action offensive en action défensive et/ou préventive, c’est-à-dire en une action menée au nom de la légitime défense (de populations en danger qu’il faut protéger) et/ou afin d’empêcher un conflit imminent avec un voisin jugé menaçant. Le paradoxe – sinon l’ironie – est évidemment de voir les belligérants se justifier de la même manière, en recourant également au même article 51 de la Charte des Nations Unies ! Les arguments avancés par les Russes, quoi que l’on en pense, montrent, au-delà du cas de l’Ukraine, que le droit d’attaquer peut trouver sa justification – et pour certains il ne peut la trouver que là – s’il est ramené au droit de se défendre ou s’il en est une extension. L’un et l’autre deviennent alors l’expression d’un droit unique, le droit de guerre, qui, s’il n’est pas détourné de la fin qui en justifie l’usage (et ne masque pas une volonté de conquête), fonde le concept traditionnel de « guerre juste ».

Droit de guerre, droit de se défendre, droit à la sécurité, guerre juste sont autant de notions élaborées et discutées par la philosophie au cours de son histoire. Il est frappant de les voir convoquer dans les débats sur les événements d’Ukraine et dans les analyses qui leur sont consacrées, sans toujours l’éclairage historique nécessaire ni la prise en compte de leur signification complexe et de leurs implications multiples. On y trouve évidemment aussi des références à la paix, aux conditions à réunir pour l’établir et, surtout, pour la faire durer. C’est alors une autre idée, là encore puisée dans l’histoire de la pensée, qui est parfois évoquée : celle de paix perpétuelle. Des essayistes et universitaires ont pu voir dans la guerre en Ukraine la fin d’une ère et la source d’une grande désillusion : elle marquerait l’échec d’une croyance en l’instauration d’une paix définitive par le droit, qui rendrait toute guerre illicite et finalement impossible, par la reconnaissance universelle de principes, l’adoption d’institutions et de procédures empêchant le conflit armé entre les nations (et offrant les mécanismes permettant le règlement pacifique de leurs différends). Sur le continent – l’Europe – qui a vu naître au XVIIIe siècle de tels projets de paix perpétuelle, sous la plume de l’abbé Charles-Irénée Castel de Saint-Pierre (1658-1743) ou sous celle d’Emmanuel Kant (1724-1804), se verrait ainsi anéantie cette promesse des Lumières, par l’affrontement direct ou indirect d’États modernes, membres d’une organisation, l’ONU, dont le but explicite est de maintenir la paix et la sécurité dans le monde

. On assisterait alors à un retour de « la logique séculaire du primat de la force, ou de l’équilibre des forces », qui ferait de « la perspective d’un dispositif de sécurité collective à vocation universelle, où les États accepteraient de gager leur sécurité sur des actes juridiques », une « vue de l’esprit ». À défaut de pouvoir arrêter ou même de limiter la guerre par le droit, nous en serions réduits à nous rabattre sur le respect du droit dans la guerre (le droit international humanitaire et le droit international pénal) : « Il y a là, paradoxalement, estime Jean-Marc Sorel, à la fois une part d’incontestables progrès, et une part de tragique reniement. La structuration du maintien de la paix dans sa version onusienne étant pour le moins grippée (si ce n’est définitivement décrédibilisée), il n’est plus question d’arrêter la guerre, puisque c’est impossible, mais d’en limiter les conséquences et de prévoir un après-guerre dont personne n’en connaît la date »

.

Touchant ces deux questions, d’une part, la guerre et sa justification, d’autre part, l’idée de paix perpétuelle, un auteur, qui n’est pas habituellement rangé parmi les principaux penseurs de la politique, alors qu’il y a consacré de nombreux écrits et qu’il est même l’un des rares à l’avoir pratiquée, mérite d’être évoqué : Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716), le philosophe de Hanovre. Leibniz ne fut pas seulement ce grand métaphysicien et ce mathématicien de génie, le philosophe des monades, du système de l’harmonie préétablie et le défenseur de la thèse du meilleur des mondes possibles : il fut aussi diplomate, conseiller juridique et politique au service de plusieurs princes (le prince-archevêque et électeur de Mayence, les ducs de Brunswick-Lunebourg, l’empereur Charles VI, le Tsar Pierre le Grand). Ses écrits politiques ne relèvent pas de la seule réflexion théorique, mais témoignent d’une connaissance très informée de l’état de l’Europe, des forces en présence, des intérêts et des ambitions des souverains de son temps. Il est notamment l’auteur de mémoires, de manifestes et de pamphlets dirigés contre la politique d’expansion et d’hégémonie menée par Louis XIV, et pour la défense du Saint-Empire Romain germanique, de son intégrité et de ses droits. Bien qu’il se situe dans un contexte intellectuel et historique très différent du nôtre – mais peut-être en raison justement de cette différence – il n’est pas sans intérêt de se pencher sur sa conception de la guerre (objet de la section 2) et sa critique du projet d’instaurer, par le droit, une paix définitive entre les nations (objet de la section 3), dans la mesure où elles permettent d’aborder avec un autre regard ces questions brûlantes qui agitent nos contemporains.

Les conditions de la guerre juste et la balance de l’Europe »

La suite ci-dessous :

https://laviedesidees.fr/_Rateau-Paul_

Jean Vinatier

Seriatim 2023