L’offensive menée par l’armée azérie contre la république auto-proclamée du Haut-Karabagh a été rapide et violente mettant la communauté internationale devant le fait accompli. Certains évoquent une seconde étape de la part de Bakou qui viserait à établir de facto un corridor, à travers le territoire arménien, reliant l’Azerbaïdjan à la république autonome du Nakhitchevan dont la Turquie est garante depuis le traité de Moscou (1921). Jusqu’alors l’exclave du Nakhitchevan jouissait d’une relative tranquillité quoique bordée par la Turquie, l’Iran et l’Arménie.
Le Caucase est une région explosive depuis des siècles du fait des mélanges ancestraux ou des enchevêtrements des populations, des religions, d’une géographie montagneuse rendant les communications difficiles. Le Caucase est aussi un nœud géostratégique renforcé par les abondances, pétrolifère, gazière.
A l’historique des puissances régionales qui se veulent aussi caucasiennes (Turquie, Iran, Russie) s’ajoutent celles éloignées, USA, Israël et même l’Union européenne qui appuie l’entrée de la Géorgie dans l’Otan et l’Union1. La récente inclination du premier ministre arménien, Nikol Pachinian, vers l’Otan dans un souci de rééquilibrage de ses accords avec la Russie n’abaissa pas les tensions, Moscou y voyant un lâchage en plein conflit russo-ukrainien : notons que le Président Zelenski appuie Bakou contre le Haut-Karabagh en référence au Donbass2.
L’enclave du Haut-Karabagh et l’exclave du Nakhitchevan résultent des découpages soviétiques à la suite des existences éphémères des multiples républiques caucasiennes socialistes nées après la chute de Nicolas II en mars 1917. La fin de l’Union soviétique en décembre 1991 ne résolut pas les problèmes, les États, arménien, azéri naquirent abrupto3. Depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en mars 2000, ce dernier s’est fixé de rétablir la Russie dans sa puissance géopolitique et bien évidemment le Caucase par sa situation devenait un enjeu majeur déjà secoué par les guerres tchétchènes puis le dossier Géorgien en 2008.
La question que l’on pourrait se poser serait la suivante : qu’est-ce qui a incité le Président Ilham Aliev a lancé cette opération spéciale pour reprendre une terminologie russe ?
Sans doute, la rencontre entre l’ambition de Recep Erdogan de rapprocher les pays turcophones d’Asie (les langues, azérie et turque sont intelligibles) et la concentration des moyens militaires russes contre l’Ukraine facilitèrent cette opération, l’Arménie étant un pays faible, sans ressource énergétique ? A cela, s’ajoute l’intérêt américain qui veut en Asie, barrer les routes de la soie à la Chine, fixer la Russie en-deçà du Caucase. Or Bakou est proche, de Washington, d’Ankara, membre fondateur de l’Otan. De l’autre côté, la présidence Aliev accepte d’écouler le pétrole russe en plus du sien faisant fi des sanctions décidées par les Occidentaux, sans soulever la moindre protestation et dans le même temps devient un fournisseur en gaz aux européens, et veille à garder ses bonnes relations avec l’Iran où vivent plus de 12 millions d’azéris ; Téhéran4, de son côté soutenant l’Arménie par crainte de non-accès à la mer noire et à la Russie, son partenaire stratégique !
Sans savoir si oui ou non, l’Azerbaïdjan poursuivra ou non son objectif de corridor de Zangezur vers le Nakhitchevan, nous voyons bien se dessiner un blocage géopolitique et géostratégique, chacun des acteurs étant tenu par l’autre à moins d’enflammer l’ensemble du Caucase:
- -La Russie ne peut intervenir directement au risque d’une représailles azérie
- - L’Azerbaïdjan ne courra pas le risque de perdre le fructueux marché avec l’Europe,
- -la Turquie conduisant sa politique d’influence en oscillant de deux côtés doit rester en équilibre,
- -l’Iran, à peine, son assise régionale reconnue les BRICS et les accords avec Riyad via la Chine est trop fragile,
- -LesÉtats-Unis qui entrent en campagne électorale, peineront à trouver des Etats prêts à envoyer au front des soldats d’une part, et d’autre part ont des arsenaux réduits par le soutien à l’Ukraine
- - l’Union européenne complétement attachée à Washington n’est pas en position de troisième voie : la preuve en est avec le sommet de Grenade organisé dans le cadre de la CPE (Communauté politique européenne qui regroupe 50 Etats dont le Royaume-Uni et la Géorgie ) initié par Emmanuel Macron où seront absents, la Turquie et l’Azerbaïdjan.
- -L’Arménie par le choix de son premier ministre de reconnaître le Haut-Karabagh comme entité azérie dans le même temps où s’opérait un rapprochement avec l’OTAN donne un avantage aux « Occidentaux » dont les Turcs et Azéris profitent pleinement. Mais Erevan risque gros dans cette affaire de repositionnement géostratégique entre le marteau russe (même affaibli) et l’enclume otanienne (turco-américaine) un peu trop au bon vouloir d’Ankara.
- -La Chine qui commence tout juste à prendre ses assises en Afghanistan ne peut pas compromettre les routes de la soie. Elle se place, aujourd’hui, trop loin du front des hostilités.
Le Caucase ne fait pas mentir son histoire antiquement enchevêtrée qui forme, peut-être, le barrage le plus efficace pour qu’une seule puissance la gouverne totalement et durablement bien aidé par une géographie montagneuse obstacle à des escalades géostratégiques.
Après les événements dans le Sahel africain, s’amène celui du Caucase prouvant que les essais d’extension du conflit russo-ukrainien par des nouveaux fronts sont difficiles, escarpés5 : on ne court pas plusieurs lièvres à la fois….
Notes :
1-Le Royaume-Uni autrefois était très influente pour contrer la descente russe vers les mers chaudes : lire La mort du Vazir-Moukhtar de Iouri Tynianov (1928) récemment réédité par Gallimard
2-le soutien d’Israël au gouvernement azerbaidjanais contre l’enclave du Haut-Karabagh n’est pas sans lien avec le conflit palestinien.
3-Idem pour l’Ukraine où lors de son indépendance, la Russie ne contesta pas la possession de la Crimée à Kiev alors que son rattachement à l’Ukraine soviétique était une décision administrative de Nikita Khrouchtchev.
4- L’Azerbaïdjan et l’Iran sont d’une part de confession chiite, d’autre part l’Azerbaïdjan est vue comme territoire zoroastrien
5-Regardons ce qui se passe en Finlande
Jean Vinatier
Seriatim 2023
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