« Débat avec Katia Weidenfeld, Patrick Gérard et Arnaud Teyssier :
Les éditions Ars Dogmatica éditent une œuvre monumentale de Pierre Legendre, «Trésor historique de l’État en France», textes et documents dont la publication s’est faite en plusieurs étapes – 1968-1969, 1992, 1999 -, mais que l’auteur, à la veille de sa mort, a ressaisis et mis en scène, par l’adjonction de nouveaux textes, avec un fulgurant effet de perspective. Au cœur de cette œuvre, un film, L’ENA, miroir d’une nation, où «l’œil de la caméra» met en scène la bascule entre deux époques.
«Inventorier la cargaison du navire», «charger, décharger l’État» : telle est la métaphore dont use l’auteur pour nous tendre, en effet, le miroir de notre nation «à l’approche des grands périls» ; pour que nous comprenions tout le sens du mot «État», qui «depuis si longtemps vacille en France.» L’enjeu est de taille : il faut «utiliser les grands moyens», «mettre les points sur les i». Car en 1969, Pierre Legendre décrivait ainsi l’État à la française : «Ni libéral, ni socialiste, le système français d’organisation manifeste une solidarité en même temps qu’une plasticité remarquables. Les Français, éduqués par l’absolutisme, ont mis leur confiance dans l’État et, malgré les poussées les plus contraires, l’Administration semble arbitrer la guerre civile tout comme elle assure avec régularité les fonctions techniques habituelles dont s’est chargé, en tous pays, l’État moderne.» Ce modèle si ambitieux, mais fortement érodé depuis le milieu des années 1980, qui est celui de l’État centraliste et relève de «l’expérience spirituelle d’une nation», tient de plus en plus difficilement la mer. Alors, comment réparer ?
Aujourd’hui, écrit Pierre Legendre, face à l’empire du management et à la reféodalisation de la France, «rôde la tentation d’une abdication pure et simple». «On entend parler, dit-il, de société plus liquide». Son œuvre nous invite à «interroger les formules en vogue». Il nous met même en garde d’un dicton : «Ne jouez pas au malin !». »
Jean Vinatier
Seriatim2024
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